Bisbilles franco-allemandes, relations délicates entre Angela Merkel et François Hollande, écart de compétitivité entre les deux pays... Il est pourtant un domaine où les relations franco-allemandes semblent (presque) au beau fixe : celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, comme l'a fait apparaître un colloque récent organisé à Bonn sur ce sujet. En cette année où l'on célèbre le cinquantenaire du Traité de l'Elysée, qui a posé les bases du rapprochement franco-allemand, et à quelques jours de la célébration des cinquante ans de l'OFAJ (Office franco-allemand pour la jeunesse), il n'est pas inutile de faire le point sur ce sujet.
Car l'enjeu est loin d'être anodin : de part et d'autre du Rhin, ce sont les étudiants d'aujourd'hui qui seront demain aux commandes des entreprises et des administrations. C'est avec eux que se poursuivra (ou se défera) la construction européenne. Autant dire que l'avenir de l'Europe se joue pour une bonne part sur les campus et dans les laboratoires de nos deux pays.
Or qu'observe-t-on ? Côté enseignement supérieur, un renforcement des échanges d'étudiants et des coopérations entre établissements de part et d'autre du Rhin. Une structure originale joue un rôle clé en la matière : l'Université franco-allemande (UFA), une institution "sans murs" qui regroupe quelque 140 programmes "bilatéraux" et compte environ 5.500 étudiants inscrits dans ces cursus. L'agenda franco-allemand 2020 prévoit d'ailleurs de doubler le nombre d'étudiants UFA en six ou sept ans.
Côté recherche, les collaborations entre France et Allemagne sont extrêmement nombreuses et variées et se déroulent généralement bien (à la différence de ce que l'on observe souvent dans l'industrie...). "Nous avons avec l'Allemagne des coopérations très solides, indique par exemple Serge Fdida, vice-président Europe de l'UPMC. Au cours des cinq dernières années, nous avons doublé le nombre de publications scientifiques communes." Les relations franco-allemandes jouent en outre un rôle clé dans la création d'un "espace européen de recherche", compétitif face aux Etats-Unis ou à la Chine.
Les projets communs, en outre, ne manquent pas. On peut citer U-Multirank, le projet de "cartographie" des institutions européennes d'enseignement supérieur, susceptible de faire concurrence notamment au fameux "classement de Shanghai". Certains évoquent aussi l'idée de partenariats franco-allemands dans des pays tiers, comme la Turquie. Sans oublier une multitude de projets de recherche à mener ensemble, dans le domaines les plus divers.
Plusieurs zones d'ombre
Dans ce paysage harmonieux, il reste pourtant plusieurs zones d'ombre. D'abord, de façon générale, l'envie d'apprendre la langue de l'autre pays diminue. Comment convaincre davantage d'étudiants allemands d'étudier le français, et inversement, davantage d'étudiants français de se mettre à l'allemand ? C'est l'un des enjeux, face à l'hégémonie planétaire sans cesse réaffirmée de l'anglais.
Ensuite, la mobilité, de part et d'autre, demeure très perfectible - et souvent déséquilibrée. Les étudiants allemands sont sensiblement plus nombreux à venir étudier en France que les Français outre-Rhin. Il est vrai qu'en dépit de la convergence annoncée, notamment dans la perspective de Bologne, les systèmes allemands et français sont restés très différents, ce qui freine la mobilité étudiante.
Déséquilibre aussi pour l'insertion professionnelle à l'issue des cursus dans le pays partenaire : 53 % des diplômés de l'UFA débutent leur carrière en Allemagne, contre seulement 28 % en France - un écart qui ne pourra être maintenu durablement, sous peine de sérieuses tensions. Ajoutons que les enseignants, pourtant concernés au premier chef, sont paradoxalement les moins mobiles...
Troisième sujet de préoccupation : une bureaucratie trop présente, qui bride les énergies. La communication entre les administrations des universités, notamment, reste un "maillon faible", et parfois dissuasif pour les bonnes volontés des enseignants et des chercheurs.
Enfin, les restrictions budgétaires liées à la crise ont nécessairement un impact négatif sur les échanges et le développement des partenariats.
En dépit de ces difficultés, le constat s'impose : la coopération franco-allemande en matière d'enseignement supérieur et de recherche, "ça marche". Et cette coopération continue de servir de locomotive pour les autres pays européens.