C'est une sorte d'OVNI éducatif. Mais un OVNI qui, dans cette période de bouleversements accélérés de l'enseignement supérieur, pourrait bien préfigurer quelques-unes de ses évolutions majeures.
De quoi s'agit-il ? D'une initiative lancée il y a trois ans par Michel Kalika (*), professeur de management à l'IAE de Lyon : le Business Science Institute. Le BSI propose un cursus destiné à des cadres et dirigeants dotés d'une solide expérience, débouchant sur un diplôme encore peu connu dans l'Hexagone, le DBA - Doctorate of Business Administration - en l'occurrence, il s'agit d'un "Executive" DBA, le programme étant conçu pour être suivi à temps partiel. Ce doctorat s'adresse donc à des managers désireux de prendre du recul par rapport à l'expérience professionnelle qu'ils ont accumulée, de réfléchir à leur métier, de produire de la connaissance à partir de leur pratique... et de la valoriser avec un diplôme reconnu à l'international.
Pour l'heure, seules quelques rares institutions de l'Hexagone proposent ce type de diplôme. Grenoble EM compte ainsi une grosse centaine d'inscrits dans son DBA, sur différents sites européens, et notamment à Londres... Dauphine offre également un DBA, tout comme Toulouse Business School et Audencia qui en ont récemment lancé un conjointement. L'ESC Rennes, a monté un "global DBA" avec deux partenaires internationaux, en Chine et au Brésil.
Autre originalité majeure, le BSI n'est pas à proprement parler une université ou une école, mais une "association académique" à but non lucratif qui fonctionne en réseau, avec des enseignants venus de Grenoble, Nantes, Toulouse, Monaco... et appartenant à diverses institutions ou centres de recherche. Le BSI dispose d'une structure légère, d'un siège au Luxembourg - "pas pour des raisons fiscales, mais parce que le ministère de l'éducation du Luxembourg s'est montré plus réactif que d'autres", précise Michel Kalika.
Quant au fonctionnement, il est lui aussi inédit à ce jour dans l'enseignement supérieur. Monté d'emblée dans une logique internationale, le BSI utilise différents sites de formation - cinq actuellement, à Genève, Dakar, au Luxembourg, à Tunis et au Canada - pour ses séminaires en présentiel d'une journée à une semaine, et fait aussi largement appel à l'enseignement à distance.
D'autres groupes devraient démarrer prochainement au Maroc, en Chine... A terme, Michel Kalika n'exclut pas une plate-forme internationale de 10 à 20 sites. Le BSI est clairement en train de monter en puissance. Toujours avec la même structure légère et "évolutive".
Résultat, cet OVNI éducatif répond à une série de besoins et d'attentes de différents acteurs. Il permet ainsi aux apprenants et aux enseignants de s'affranchir des distances, mais aussi de se libérer des contraintes (et des pesanteurs...) d'un établissement unique. Il offre l'opportunité à des cadres et dirigeants de valider et de valoriser leurs compétences, dans une logique proche de celle de la VAE. "Les managers qui s'inscrivent viennent avec des sujets très pointus, ajoute Michel Kalika. Or aucune université ne dispose d'assez de professeurs compétents pour traiter ce sujets et diriger une thèse sur ces différentes niches."
Au passage, notons une autre différence majeure avec le doctorat "traditionnel" : c'est l'étudiant lui-même qui choisit son sujet de thèse, en fonction de ses compétences et de ses centres d'intérêt. Alors que dans le cas d'un doctorat d'Etat, c'est le professeur qui impose à l'élève de 23 ou 24 ans un sujet auquel il ne connaît rien au départ. "Nous partons du sujet de thèse - à l'inverse de la démarche de l'université", indique Michel Kalika. De quoi changer radicalement la "posture" et la motivation de l'étudiant...
Enfin, ce dispositif académique peut apporter une réponse aux interrogations actuelles croissantes sur la recherche, son utilité et son impact sur le monde des affaires. "Ce format de thèse, directement appuyé sur la pratique managériale, possède un fort impact sur la vie des entreprises, souligne Michel Kalika. Les recherches menées par des managers partent des problèmes réels des entreprises et leur apportent des solutions. C'est un atout majeur du BSI. Et c'est une expérience passionnante pour les professeurs : ils ne viennent pas pour l'argent, mais pour la richesse de contacts que leur offre le BSI."
La première cérémonie de diplômation du BSI a eu lieu il y a quelques semaines au château de Wiltz, au Luxembourg : 7 étudiants de différents pays ont obtenu leur EDBA, après soutenance, à l'issue des trois années de cursus. Un partenariat de publication des thèses des managers a par ailleurs été signé avec EMS Editions.
Au total, le BSI compte aujourd'hui une cinquantaine d'inscrits. Si leurs motivations varient, tous les participants affichent un grand enthousiasme. "Je voulais faire des analyses en entreprise, mais appuyées sur une vraie rigueur scientifique, explique Cédric Baudet, 36 ans, DRH de Migros-Valais, l'un des diplômés de la première promotion. La formation que nous avons suivie n'a rien à voir avec un MBA. Les participants sont des gens qui ne se satisfont pas de ce qu'on leur apporte, et qui veulent aller plus loin. Ce sont des passionnés, et les enseignants aussi. Avec ce cursus, je me suis enrichi, et j'apporte quelque chose de plus à mon employeur."
"Je m'intéresse à la formation doctorale des managers, explique de son côté Sébastien Liarte, professeur de stratégie à l'université de Nancy et l'un des enseignants du BSI. L'idée que des praticiens en entreprise puissent rédiger une thèse me séduit. Nous sommes dans une relation d'accompagnement, très différente de celle que l'on peut connaître dans un établissement traditionnel. Cela nous permet d'intégrer dans nos cours nos dernières recherches. Les échanges sont permanents avec les étudiants. Nous ne sommes pas là pour leur apprendre leur métier. Et nous touchons un public que nous n'avons pas à l'université."
"Aujourd'hui, les entreprises leaders achètent de la formation pour améliorer leur performance, pour trouver des solutions opérationnelles, observe Bruno Dufour, consultant et expert en formation au management. Le BSI s'inscrit bien dans cette logique. Les participants sont des gens qui ont des préoccupations concrètes, de terrain. On n'est pas dans une approche académique traditionnelle. Je suis convaincu que des entrepreneurs vont se lancer sur ce créneau, et monter des consortiums avec des universités ou des écoles."
(*) Michel Kalika a notamment dirigé, avec Paul Beaulieu, la rédaction d'un ouvrage intitulé "La production de connaissances par les managers" (Editions EMS).